Paroles


Quand il y a le silence des mots
se réveille trop souvent la violence des maux.
Mais il ne suffit pas de rompre le silence
et de sortir du mutisme,
encore faut-il se sentir reçu, entendu et amplifié
lors de ses tâtonnements à mettre en mots.
Il y a des mots vibrants de vie,
des mots ferveur pour l'amour,
de mots patience ou enthousiastes pour la compassion,
des mots de tolérance pour la liberté d'être.
Il y a des mots porteurs de mort et de violence,
chargés de haine et d'inimitié.
Il y a les mots simples et nécessaires du quotidien
et les mots rares de l'exceptionnel,
les mots familliers de la banalité
et les mots précieux de l'extraordinaire.
Il y a les mots économes de la survie
et ceux dont la richesse
nous transporte vers le meilleur de l'autre et de nous-mêmes.
Il y a des mots obscurs, hésitants, torturés,
des mots balbutiants et aussi des mots posés
et confiants déjà plus matures,
pleins de sagesse et de sérénité,
lourds de tout leur poids d'espoir
et du sens profond qu'ils portent.
Il faut déjà du temps pour qu'un ressenti,
une émotion, un vécu trouvent le chemin des mots,
pour qu'ils migrent des lieux du corps où ils naissent
et s'inscrivent,
jusque sur la scène symbolique de la représentation,
et qu'ils accèdent ainsi au registre de la pensée,
par un subtil travail de transformation
qui mène de l'irreprésenté au figurable, de l'informulé au dicible.
IL faut parfois bien plus de temps encore,
pour qu'un mot devienne parole,
pour qu'il sorte des limbes de l'imaginaire
où il a été conçu et vienne ainsi au monde
dans le passage étroit et délicat
qui va de l'impression à l'expression,
de l'ouverture de soi à la transmission à l'autre.
Au début était le Verbe
et donc l'énergie du souffle vital.
Notre existence est tissée
de toutes les tentatives d'échanges et de partages
qui ont jalonné les différentes étapes de notre vie.
Notre bien-être se nourrit ainsi de la qualité
des relations significatives amorcées, acceptées,
nouées et entretenues dans la durées,
avec des êtres que nous avons côtoyés.
Et notre état de santé est exactement proportionnel
à notre capacité à nous respecter face à autrui.
Il y a des mots toxiques et des mots blessants,
des mots qui distillent leur venin ou leur aigreur,
bien au-delà du temps où ils ont été prononcés.
Je peux imaginer que beaucoup ont déjà appris
à ne pas les garder, à ne pas laisser trop longtemps fermenter
en eux les disqualifications, les humiliations,
les propos destructeurs
ou simplement négatifs et néfastes qui leur ont été adressés.
Il y a, bien sûr, des mots cadeaux,
des mots de grâce, des mots bénis et des mots magiques
que nous pouvons accueillir et amplifier en nous.
Ce sont ceux-là que j'ai recueillis
et rassemblés, ceux-là que j'ai voulu déposer dans ce livre.
Des mots graves et des mots plaisirs,
des mots éveil et des mots envols,
des mots rires et des mots tendres,
des mots si féconds et si lumineux
qu'ils restent longtemps en nous,
tels des germes qui fleuriront
aux instants les plus inattendus de nos jours.
Une parole pleine a des vertus curatives
et une puissance thérapeutique,
elle possède un fort pouvoir de vie,
quand elle ne juge pas,
quand elle ne dicte pas, quand elle n'enferme
ou ne dépossède pas.
Une parole soigne quand elle permet de penser
les douleusr et les souffrances intimes,
un "penser" qui peut s'écrire aussi avec un a
quand il pense les blessures et les mutilations anciennes jusqu'à la cicatrisation.
Et je trouve beau de fare mémoire
en son vivant
de mots qui ont en nous assez d'énergie
pour nous faire avancer et croître.
Une parole guérit lorsqu'elle nous invite à reconnaître le sens,
et à trouver l'enjeu caché
d'une mise en maux.
Une parole libère lorsqu'elle stimule
une mise en lien, qu'elle devient
un pont, une passerelle
entre deux événements,
entre deux moments de notre histoire
et qu'elle nous amène, non seulement
à rendre plus conscient un peu de notre inconscient,
mais à regarder et à voir autrement
tout ce que nous savons déjà.
Une parole nous conduit à sortir
de nos pièges et de nos répétitions,
elle nous déloge de notre tendance à la "victimisation",
lorsqu'elle suscite des échos et des résonances
suffisamment profondes pour pouvoir enfin être entendue
par celui-là même qui l'énonce.
Ma grand-mère se plaisait à rappeler
que la véritable écoute est une écoute dense (danse)
tissée de silence et d'acceptation,
prolongée par des regards,
soutenue par une respiration et une présence.
Une qualité d'écoute qui permet
justement à celui qui parle.
d'entendre enfin ce qu'il dit.

Jacques Salomé
Préambule à "Paroles à guérir"
Albin Michel

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